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Peu importe...

À ce moment-là, j'étais perdu dans mes pensées, comme cela m’arrive fréquemment en cavalant sur mon itinéraire habituel. Un drôle de miaulement, ressemblant à s’y méprendre à des pleurs de bébé, déchira le silence et, par ricochet, troubla ma quiétude du moment. Ayant retrouvé mes sens, j’aperçus pas très loin, sur le côté d’une demeure, une tigresse miniature frottant langoureusement son dos arrondi contre une rampe d’escalier.

Cette sérénade de ruelle a eu l’heur de me glacer le sang et produisit du même coup une chair de poule qui me parcourut le corps en entier. Tu m’as foutu les jetons, petite tombeuse au rut enflammé et retentissant.
 
J’étais alors en train de penser que toute chose qui nous entoure nous paraît permanente, mais selon la théorie zen, ce n’est semble-t-il qu’illusion. Chaque goutte d’eau d’un ruisseau ne passe jamais deux fois sur la même pierre. Ce n’est pas différent pour l’existence humaine. La vie, tout comme l’eau du ruisseau, ne peut rebrousser chemin. Pourtant, on s’obstine à vouloir contrôler cet aspect de notre vie. En réalité, seul l’être humain se plaint de la nature transitoire de toute chose. Est-ce une aberration issue des temps passés, ou peut-être est-ce une position plutôt instinctive de notre part? Je ne sais tout simplement pas…
 
Je continue mon parcours pour arriver à l’intersection des rues Queen-Mary et Macdonald, quand j’aperçois le concierge d’un immeuble que je croise assez souvent. Le genre de type pas très sympa. Encore une fois, il arrose le devant de son édifice à grand coup d’eau potable, galon après galon, heureux de si bien entretenir les lieux. On a un grand fleuve bien plein d’eau juste à côté, allons-y gaiement! Tout cet étalage de génie juste là devant moi à faire un travail qui pourrait aisément être accompli par un simple coup de balai. Un autre individu qui vit sa vie somnambulique en ne se souciant de rien, dans la tristesse la plus totale. C'est tout à fait méprisable de voir ce qu’ils font à la vie. Quand je suis témoin d'un geste du genre, c’est comme si on me giflait l’âme à grandes baffes. «Hey, hey, calme-toi, Luc! Qui es-tu pour porter un jugement aussi sévère? Tu ne le connais même pas. Commence par le saluer…» chuchote ma petite voix.
 
J’essaie vraiment fort de ne pas avoir de préjugés et de refuser les positions trop partiales avant même de connaître les tenants et les aboutissants d’une situation. Après tout, peut-être qu’il utilise une citerne d’eau de pluie. De toute façon, qu’est-ce qui est bien? Qu’est-ce qui est mal? La ligne de démarcation est différente pour chacun d’entre nous. Parfois, les questions valent mieux que les affirmations (dans le sens de poser un diagnostic arrêté). Un être humain est plus vaste qu’une théorie, on ne peut s’arrêter à un simple verdict immuable et ingrat de la sorte. L’ignorer peut même être dangereux.  Finalement, je me ressaisis, lève les yeux au ciel et je me dis: «Pas cette fois… Je ne vais pas l’emmerder avec mes récriminations écologiques. Il fait beau, pas question de dégoupiller une situation explosive ce matin…»

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