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Franchir les frontières de l’inconnu.

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Affronter l’inconnu est souvent un geste de grand courage. Peu importe la situation que représente cet inconnu ou le chemin que l’on doit emprunter pour le braver. Que ce soit en rampant au travers les buissons du chemin Roxham ou par le biais de la traversée périlleuse d’une mer imprévisible en pleine nuit dans un canot pneumatique exigu et saturé de compatriotes ou simplement en escaladant à mains nues les barbelés acérés d’un mur érigé maladroitement par un président américain aux cheveux roux, le geste et la prise de cette décision démontre jusqu’où certaines personnes sont déterminé à aller. Ils sont résolus à changer la trajectoire de leurs vies et celles des leurs, en croyant que cette fois-là sera vraiment la bonne. Un geste tout à fait légitime dans les circonstances de leurs quotidiens précaires. Cependant, ce qu’ils ignorent est le défi encore plus grand qu’ils auront à affronter afin de s’enchâsser et de s’adapter à leur nouvelle terre d’accueil (en supposant qu’ils puissent éventuellement y être accueillis en bonne et due forme par l’état). La plupart d’entre nous comprenons l’intention de leurs démarches, fuir une vie meublée d’incertitudes perpétuelles, quand ce n’est pas carrément des menaces au quotidien qui attentent à leurs vies et à celles de leurs familles.

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Par contre une partie de la population des pays d’accueil y voient à leur tour une menace. L’inconnu se dissimule encore dans le portrait, sournoisement. Peur de se faire voler leurs emplois par ces étrangers, peur que ces gens imposent tranquillement leurs us et coutumes au détriment de notre quiétude, peur que ces gens se fassent vivre trop longtemps à nos frais par nos programmes sociaux. Puis, arrivent en trombe la religion pour conclure les peurs d’une assimilation fictive inventée de toute pièce par l’étroitesse de notre ignorance et stimulée par une paranoïa répandue par les divers moyens de communication modernes. Toutefois, il est à mon avis assez réducteur d’aborder le sujet en généralisant de cette façon et, qui plus est, d’en tirer des conclusions. D’emblée, je suis bien conscient et aux faits des difficultés causées au fil des époques par la conjonction des différentes cultures et de leurs religions. Il est certain que si nous abordons l’analyse des expériences malheureuses du passé avec le concours de nos bulletins télévisés traitant des conflits inter-religieux avec un esprit fermé et dubitatif, nous ne parviendrons pas à y percevoir rien de bien positif. On fait aussi souvent l’erreur d’aborder le sujet de la religion en utilisant des propos de haute observation philosophique, ce qui n’est pas non plus forcément une voie féconde pour un dialogue qui traite d’un sujet aussi délicat en contexte de multiculturalisme. Nous confortons ainsi, d’une manière totalement erronée, l’idée selon laquelle la culture s’avère être d’une complexité qui  ne fait que diviser.

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Aussitôt, nous sommes forcé d’admettre que les cultures de la terre entière sont trop diverses pour justifier un chemin unique. Voilà une chose de réglée. Puis, autre constat, la religion s’avère inefficace dans un contexte de cloisonnement, les différentes guerres du passé nous le confirment. Le dogme de la vérité absolue a été malheureusement l’auréole de la plupart des guerres, ça ne laisse pas une grande place aux prémices d’une discussion envisageant une cohabitation multiculturelle stable et lumineuse. Ici, je paraphraserais un imminent bouddhiste qui disait que quand il est question de religion, dès que l’on dépasse les contraintes de la pensée rationnelle et cognitive, tout concept « d’isme » s’efface (ou à tout le moins devrait-il s’effacer). Peu importe le nom que l’on donne à cette expérience, l’essentiel est que celle-ci puisse nous conduire à une seule et même profondeur spirituelle. Cela nonobstant les antécédents socio-culturels et autres étiquettes qui ont baigné notre existence depuis notre tendre enfance. Cependant, pour arriver à cette profondeur, il est important à prime abord d’avoir fait le sérieux exercice de l’analyse de notre propre foi et d’en questionner sa pertinence dans certaine situation. L’ignorer constitue, à longue échéance, une erreur (presque) aussi grave que son opposé le maléfique extrémisme religieux. La véritable raison de chaque religion doit être à la base de l’amour universel. Sinon le précepte du respect de chaque croyance éclate en morceau aussi longtemps que cette raison fondamentale n’est pas entièrement révérée et assimilée.

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Désolé de m’être embourbé dans les complexes filets des diverses formes de foi planétaires et ancestrales. Revenons à nos moutons, sans faire de mauvais jeu de mots (si on pense en termes de brebis égarés). Depuis le début de ce texte vous avez sans doute remarqué l’omniprésence du mot "inconnu". Il est ici le principal suspect condamnable. L’inconnu effraie. Je ne parle pas de l’individu comme tel, mais bien du concept de ce que l’on ne connait pas ou très peu. Imaginez juste un instant si les rôles étant inversés. Vous êtes catapulté par les perfidies d’un sort incontrôlable vers une destination inconnu. Exemple, un seul pays est prêt à vous accueillir et celui-ci est au beau milieu du Moyen-Orient. Comment vous sentiriez vous dans un pays où l’on ne parle pas un mot de votre langue, où personne ne porte le même genre de vêtements qui sont vôtres, où on a que faire de vos rites religieux et, qui plus est, où le simple fait de se loger et de se nourrir devient pour vous un casse-tête quotidien d’une incroyable complexité. Le premier réflexe est de trouver quelqu’un qui pourrait vous aider, exemple, retracer la diaspora francophone de cette ville, si elle existe. Ne font-ils pas la même chose en arrivant dans les grands centre urbains et nous les regardons en leur reprochant de se ghettoïser dans ces quartiers miteux où l’on hésite de plus en plus à mettre les pieds, par peur de l’inconnu, cela sans pousser plus loin notre réflexion.

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Je suis facteur de profession et jadis mon parcours quotidien empruntait les rues d’un de ces quartiers montréalais à forte densité multi-ethnique. Un quartier plutôt pauvre où les HLM se succèdent à l’image d’une partie de domino bien enclenchée. On voit ce genre de quartier dans toutes les grandes villes du monde. Rues incroyablement cosmopolites où je faisais moi-même figure d’étranger. Peuplée par des gens de toutes nationalités qui avaient, semble-t-il une chose en commun, le fait d’avoir choisis notre belle province comme terre d’accueil. Ils ne choisissent pas ces quartiers miteux par goût, mais surtout pour le coût abordable des logements afin de pouvoir commencer leur nouveau départ. La plupart d’entre eux vivent dans des conditions de pauvreté apparente, dans des logements exigus à l’intérieur de bâtisses d’une salubrité qui peut sembler douteuse à prime abord. Néanmoins, cela ne les empêchait pas de sourire en croisant mon regard et mes hochements de tête en guise de salutation, chaque jour. Je crois que ces gens ont su viser la suffisance à soi et de ce fait ils ont aussi su s’absoudre de la douleur provenant de son manque. Doctrine qui est complètement absente, voire même inconnue de la plupart d’entre nous, nord-américains choyés.

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Mais revenons à leurs sourires, permettez-moi d’utiliser un bout de phrase de Dany Laferrière : “Ces gens sont tellement habitués de chercher la vie dans des conditions difficiles qu’ils porteront l’espérance jusqu’en enfer”. Je crois que cette citation s’applique très bien à ces êtres humains. De leurs misères se dégage une bouleversante humanité. Ce qui me porte à croire que leurs conditions de vie devaient être encore bien plus précaires là-bas d’où ils viennent que nous sommes en mesure de l’imaginer avec nos yeux d’occidentaux. C’est ce que j’en déduis selon toute logique. Leur approche joviale fait tomber toutes les barrières. Il est aujourd’hui évident que nous serons, plus que jamais, exposé à cette mosaïque culturelle. Mais il faut savoir détecter l’extraordinaire beauté de cette mosaïque. Adoptons le bon comportement et agissons comme un vrai pays d’accueil doit le faire. L’accueil se fait à bras ouverts (avant la pandémie bien sûr) en laissant tomber nos préjugés qui asservissent trop souvent notre pensée. Ces immigrants ont la conviction de trouver le bonheur au sein de notre pays, ne les décevons pas en adoptant un comportement dicté par un égoïsme injustifié. Ils devront apprendre à apprivoiser nos coutumes et dans la mesure du possible à les incorporer dans leurs quotidiens, mais nous avons aussi la responsabilité de les aider à y parvenir. D’ailleurs, nous avons aussi une multitude de choses à apprendre d’eux et des écueils de leurs douloureux passés. Suis-je trop animé d’un esprit d’idéalisme et aveuglé par ma foi dans la condition humaine? Peut-être… mais je partage tout de même l’avis de l’écrivain Paolo Coelho quand il écrit que ceux qui portent sur la misère un regard hautain et teinté d’indifférence sont souvent les plus misérables.

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Au contraire, le scénario plutôt sombre de leurs mésaventures passées doit nous rappeler chaque matin quand on se lève tous les avantages dont nous jouissons dans nos vies versus les nombreux manques dont ont souffert ces gens en transit perpétuel. N’omettons surtout pas de soupeser la lourdeur mentale de ce transit dans l’équation. La liberté, seul ceux qui en ont été privé connaissent sa réelle valeur. Le facteur humain doit être le moteur de nos pensées de compassion. Il nous faut sortir des logiques préconçues dans notre rapport avec autrui, mais aussi avec nous-même. Dans cet ordre d’idées, je crois que chacun d’entre nous doit réfléchir à sa responsabilité en tant qu’être humain et ainsi cesser de s’associer aveuglément à des mouvements ou à des idéologies imposées dès notre naissance par les générations qui nous ont précédées sans les remettre en question de temps à autres.

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Mieux vaut redécouvrir le sens profond de notre propre spiritualité, soit celle qui stimule nos aspirations, que de se vautrer dans l’ignorance qui mène souvent directement au rejet systématique.  Une personne à la spiritualité éveillée n’est-elle pas capable de voir l’être humain derrière ses vêtements traditionnels ou la couleur de son derme. Et si ceux-ci, nonobstant leurs origines, s’abreuvent à la même source de l’amour fraternel que nous, le résultat devrait en principe être le même. A-t-on absolument besoin d’apposer un nom ou une étiquette sur ces différences pour qu’ils soient considéré comme valides et recevables? Personnellement, je  crois que Dieu va au fond des cœurs de chacun et il est un excellent juge des intentions, et cela toutes allégeances confondues.

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J’ai une dernière parenthèse que je me dois ici de faire avant de conclure. J’aimerais ajouter que ce qui m’impressionne le plus de ces gens est leur résilience. Qu’y a-t-il de si important dans le mot résilience. Dans son sens propre et en se fiant à notre bon vieux Larousse, il définit l’aptitude d’une matière à résister à un choc mécanique. Cependant, quand on l’emploie au sens figuré, il est beaucoup plus intéressant selon moi, il désigne la capacité à réussir à vivre, à se développer en dépit de l’adversité. Dans cet ordre d’idées, il conforte le fait que l’on peut changer un malheur en quelque chose de merveilleux, car tout homme mutilé par son destin n’est-il pas contraint à la métamorphose ? En ce sens, ces gens nous donnent une leçon de vie, ils nous apprennent à changer le malheur en épreuve. Si la première définition fait baisser la tête sous l’impact du choc, la seconde la relève, et nous pousse aussi à relever nos manches en étant persuadé que les souffrances du passé ne seront pas vaines.

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Ironiquement, nous sommes en pleine pandémie planétaire, les frontières sont pour le moment fermées.  Les pendules s’arrêtent. Ce cloisonnement nous pousse tous à réfléchir encore plus intensément sur le destin de l’humanité, pendant que chaque pays s’affaire à soigner ses plaies dans sa propres cours. Les blessures semblent plus purulentes pour les pays économiquement enviés. Ces pays pour la plupart où il semble que l’on ait momentanément oublié certain concept fondamental de la vie en société, en commençant par la définition et l’importance d’une vieillesse vécu dans la dignité. Il est toujours dangereux de tirer de grandes conclusions sur la société en général à partir de tels événements. Mais, si on pousse encore plus loin l’analyse de notre paradoxe, on constate à notre grande surprise que cette lésion virulemment contagieuse est soignée avec une tendresse et un altruisme singulier par nombre de ces immigrants et cela au détriment de leur propre santé et celle de leur famille. Quel drôle de paradoxe, vous ne trouvez pas …

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Luc Thibert... alias Le facteur urbain

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Texte produit dans le cadre d'un dossier de la revue Le verbe portant comme sujet ; Les exilés du 21e siècle. (Juin 2020)

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