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Le jeu

Feuille blanche, autre combat où les mots se bousculent au portillon dans ma tête. Puis malencontreusement, je n’arrive pas à les mettre en forme. L’idée première est là, mais il me manque des parcelles, des bribes, un ou deux détails, qui constitueront le ciment qui me permettra de compléter ma pensée. Cette chronique met en relief un matin en particulier. Un jour où je tente de faire mon parcours quotidien de livraison en habitant mes pensées d’un esprit ludique. Cet état d’esprit (joueur) n’est vivant habituellement qu’en présence de ma fille de 6 ans (quoique plutôt faible et à peaufiner selon la principale intéressée).

Je déambule mon itinéraire en m’imaginant sur une planche de jeu. Un damier dont je parcours les cases une à une, avançant plus rapidement quand j’ai une série de portes sans courrier, à la manière d’une progression propulsée par une paire de six sur les dés, suivie de séries plus lentes, voire saccadées, où les livraisons se succèdent sans relâche. Celles-ci rappelant des paires moins payantes au compteur de nos cubes de jeu. Il m’arrive même de frapper un serpent qui me fait dégringoler de plusieurs cases quand j’oublie au fond de mon sac un colis maladroitement dissimulé et non marqué. On a tous joué au jeu des serpents et échelles.
 
Cela m’amène à l’endroit précis d’une nouvelle introspection. Cette dernière a vu le jour lors d’une autre lecture récente dont j’ai beaucoup apprécié la teneur. L’écrivain se posait les questions suivantes : quel est le jour où l'on arrête de jouer? Le jour où l'on ne sait plus jouer? Comment et quand oublie-t-on le secret du jeu? Il y a bien un jour de notre vie où c’est fini. Un moment précis où ça s’arrête d’un seul coup. Comme ça, du jour au lendemain. Est-ce que ce jour se situe à l’adolescence, ou plutôt au début de l’âge adulte? Ce jour où l'on ne comprend plus l’essence du jeu, en quoi ça consiste. L’auteur en question allait même jusqu’à supposer que ce jour puisse être le pire jour de notre vie; la perte du jeu, l’oubli du jeu. Peut-être un peu fort, mais on est forcé d’admettre qu’on y passe tous. Cette nature puérile, enfantine, espiègle s’en est allée, tout simplement envolée.
 
Adulte, on est grand, on ne joue pas. De toute façon, on ne sait plus vraiment jouer et on a trop de choses à faire, on a plus le temps de jouer. Je suis présentement en cours accéléré et intensif de jeu. Ils me sont prodigués de mains de maître par ma fille avec la belle énergie qui l’anime sans fin. Soyons francs, a priori, elle me trouve plutôt médiocre, décriant mon manque d’implication, sans parler de l’authenticité qu’elle trouve à la base tout à fait déficiente. Mais elle s’entête à  me faire retrouver cette essence perdue, déterminée à ce que je puisse à nouveau voir la vie sous un jour que j’ai manifestement oublié. On a pourtant tous été capables de s’inventer des vies, des personnages étant enfants. Mais où se situe donc précisément cette journée du deuil de notre enfance? 

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